Le secteur informel représente jusqu’à 80 % de l’économie en République Démocratique du Congo, selon l’OIT. Pendant longtemps, ce pan de l’économie, principalement porté par les petits commerçants, les vendeuses de denrées alimentaires ou encore les mécaniciens de quartier, a fonctionné sans outils numériques, avec peu ou pas de formalisation. Mais cela est en train de changer. Discrètement, une révolution technologique se joue dans les ruelles bondées des marchés populaires de Kinshasa, Lubumbashi ou Goma.
Un secteur informel en mutation numérique
Grâce à la démocratisation des smartphones, à la baisse progressive du coût d’internet mobile et à l’émergence de solutions locales, de plus en plus de commerçants informels adoptent des outils numériques. Qu’il s’agisse de suivre leurs ventes, de gérer leurs stocks, de se connecter avec des fournisseurs ou même de demander un microcrédit, le digital s’invite désormais dans les paniers de tomates comme dans les étals de tissus.
Des applications conçues pour les réalités locales
Les solutions numériques qui transforment le commerce informel sont souvent nées d’initiatives locales, conscientes des réalités du terrain. C’est le cas de Jambo Shop, une application développée en RDC qui permet aux vendeurs de saisir leurs transactions quotidiennes, de suivre leurs revenus et de générer des rapports simplifiés. L’application fonctionne même hors ligne, avec synchronisation automatique dès qu’une connexion est disponible.
D’autres plateformes comme Sokowatch (au Kenya) ou Nkwa (au Cameroun) servent de référence en Afrique francophone, offrant une gestion simplifiée des stocks, un accès direct aux grossistes, et la possibilité de commander via SMS ou WhatsApp. En RDC, des startups comme Yabisso RDC ou KivuTech travaillent sur des solutions similaires adaptées aux commerçants des marchés urbains et périurbains.
Ces outils ont un double impact : ils améliorent la productivité individuelle des vendeurs et facilitent l’accès au financement, un problème majeur pour les acteurs du secteur informel.
Le numérique comme levier d’accès au crédit
L’un des freins majeurs pour les entrepreneurs informels est le manque d’accès au crédit. Les banques traditionnelles exigent souvent des garanties ou des documents comptables que ces vendeurs ne possèdent pas. Grâce aux applications numériques, il devient possible de générer un historique d’activité financière, même simple, qui peut être utilisé par des institutions de microfinance pour évaluer la solvabilité.
Par exemple, la fintech Tala propose des prêts à court terme basés sur des données comportementales et transactionnelles collectées via le téléphone mobile. En RDC, des initiatives comme celles de la plateforme WapiPay RDC permettent à des commerçants de recevoir des paiements digitaux et d’accéder à des financements via des scores de crédit alternatifs.
Ces innovations ne se limitent pas à l’octroi de crédit : elles favorisent aussi l’inclusion financière, permettant aux petits commerçants de sécuriser leur argent, de réaliser des paiements sans espèces, et de développer des habitudes de gestion saine.
Des femmes au cœur de la transition numérique
Dans de nombreux marchés urbains en RDC, les femmes sont les principales actrices du commerce informel. Ce sont elles qui vendent les vivres, les vêtements, les cosmétiques. En ciblant ces utilisatrices, certaines solutions numériques contribuent à l’autonomisation économique féminine.
Des programmes comme « Mama Digitale », soutenu par une ONG congolaise en partenariat avec Orange RDC, forment des femmes commerçantes à l’utilisation d’applications de gestion mobile. Les résultats sont probants : plusieurs d’entre elles déclarent avoir augmenté leur chiffre d’affaires en maîtrisant mieux leur stock et leurs marges.
En leur fournissant des outils accessibles et des formations adaptées, le numérique devient un accélérateur de résilience et d’émancipation pour ces entrepreneures du quotidien.
Défis à surmonter et perspectives à long terme
Malgré ces avancées, plusieurs défis persistent : l’illettrisme numérique, le coût des smartphones, ou encore la méfiance envers les outils technologiques. Il est donc nécessaire de renforcer les campagnes de sensibilisation, de former davantage sur l’usage de ces outils, et de créer des interfaces simples, souvent en langues locales.
La création de partenariats entre startups technologiques, opérateurs télécoms, banques et institutions publiques pourrait permettre une diffusion plus large de ces innovations. De même, la mise en place de programmes publics de digitalisation du commerce informel peut faire basculer des millions d’acteurs vers une économie plus formalisée et connectée.
Une révolution invisible mais puissante
La digitalisation des marchés informels en Afrique francophone, et particulièrement en RDC, est l’un des mouvements socio-économiques les plus porteurs d’espoir pour une économie plus inclusive. Derrière cette « révolution silencieuse » se cache un potentiel immense : structurer des millions de micro-entreprises, renforcer la sécurité financière, améliorer la gestion, et surtout ouvrir la voie vers l’entrepreneuriat formel.
Pour les jeunes développeurs, les fintechs locales et les investisseurs sociaux, ce secteur représente une véritable mine d’or d’opportunités. Il est temps de soutenir et d’amplifier cette transition, pour que chaque vendeur de marché devienne un acteur connecté de la nouvelle économie africaine.
Sources : OIT (Organisation Internationale du Travail), GSMA Africa 2023, Jambo Shop RDC, Mama Digitale, Tala Microfinance, WapiPay RDC
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