Le 12 mars 2021, le monde de la finance est en ébullition, le Bitcoin, une monnaie virtuelle qui a à peine 12 ans d’existence atteignait le prix record de 61 283 $. En comparaison, un lingot d’or vaut près de 56 000 $. De quoi laisser les spécialistes perplexes.
L’or est une valeur refuge. Lors des graves crises qui ont secoué les marchés financiers comme la récession des années 20 ou le choc pétrolier après la guerre israélo-arabe; les fluctuations dues à l’incertitude du lendemain poussent les grands investisseurs à sécuriser leurs fonds derrière ce métal précieux.
En RDC, c’est tout le contraire. Quand le Franc congolais perd son pouvoir d’achat, non seulement parce qu’il est inconvertible hors du pays, mais aussi parce qu’il n’est pas soutenu par une production nationale suffisante ; le réflexe des gens est de convertir leurs francs en dollars. La force de la monnaie américaine en fait une valeur refuge qui ne varie pas; car les prix des biens et services sont fixés dans cette monnaie.
LE BITCOIN EST-IL VENU DÉTRÔNER LE ROI DOLLAR ?
Le calvaire de la monnaie nationale a commencé dès la vague de démocratisation du pays au début des années 90. L’économie zaïroise d’alors, fortement perturbée par les troubles politiques, commence à flancher. La coopération internationale est suspendue dans bien des domaines. L’hyperinflation causée par la mégestion des finances publiques et la corruption se fait sentir dans l’assiette. C’est là que de nombreux Zaïrois partiront à l’aventure hors du pays pour gagner de l’argent. La libéralisation de l’exploitation du diamant ouvre les mines du Kasaï et de l’Angola voisins à de nouveaux entrepreneurs.
La masse de devises en circulation explose. Je me rappelle qu’on me donnait 5 millions de Zaïres tous les matins pour payer le transport de la commune de Matete jusqu’à Limete. En y ajoutant 5 autres millions pour acheter de quoi manger à la récréation, le petit garçon que j’étais avait 10 millions de Zaïres chaque jour. Imaginez alors la galère d’un commerçant à utiliser des billets à valeur élevée. La défiance envers le Zaïre monnaie était également perceptible dans le règlement des frais de scolarité qui étaient payés en Francs belges dans la majorité des écoles catholiques.
Dans cette situation; l’apparition des jeux d’argent était une aubaine, mais également une malédiction pour une population qui n’avait aucune éducation financière. Aux banques du reste à court de liquidités qui proposaient des taux d’intérêt inférieurs à 10 % sur les placements; les initiatives Bindo, Nguma et Madova proposaient des retours sur investissements allant de 30 à 100 voire 150 % de la mise initiale dans certains cas. Personne ne se posait bien sûr la question de savoir comment de tels taux étaient praticables en l’espace de 30 jours. Que faisaient-ils de cet argent ? Dans quoi investissaient-ils pour avoir un tel retour sur investissement ?
La suite fut tragique. Incapables de rembourser leurs clients, ces promotions mirent la clé sous la porte. Ceux qui avaient vendu à vil prix leurs maisons pour y investir dans l’espoir de récupérer le triple de la somme furent ruinés. Nombreux se suicidèrent. Michel Nsomue Nsomue; cadre de la Banque centrale à l’époque relate même que l’essentiel de la masse monétaire en devise était détenue par les initiateurs de ces jeux. Soit près de 70 % de l’épargne nationale investie dans des jeux d’argent.
AUTRE TEMPS, AUTRES MŒURS
Malgré l’aventure Bindo-Nguma-Madova, les Congolais ne retiendront pas la leçon. D’autres sociétés aussi peu scrupuleuses verront le jour. OneCoin et Stancap en sont des exemples. Misant sur le placement en ligne via le mobile money. C’est la répétition du même scénario qui conduisit à la ruine de leurs investisseurs. Devant la multiplication de sites Internet d’investissement utilisant M-Pesa; VodaCom suspendra même la délivrance des API d’intégration pour les webmasters, soumettant cela à un contrôle préalable.
Devant les plaintes, la Banque centrale émettra une contre-recommandation au grand public, interdisant la collecte des investissements par voie électronique. Le communiqué indexe la cryptomonnaie comme une menace pour les investisseurs. Les escrocs ayant opéré sur terrain et online utilisaient outre le paiement mobile, les cryptomonnaies dont essentiellement les Bitcoins.
Un mauvais départ pour cette monnaie virtuelle en RDC. Car il faut dire que le Bitcoin est très prisé par ceux qui ne veulent pas laisser des traces de leurs opérations financières. Rapide et sécurisé grâce à une technologie appelée Blockchain; il est le moyen de paiement préféré des terroristes qui demanderaient une rançon ou des criminels qui souhaiteraient blanchir de l’argent. Mais aussi, l’absence d’intermédiaires financiers autre que ceux actifs derrière la Blockchain permet de limiter les commissions; ce qui rend les transactions moins couteuses que les opérations bancaires classiques.
Des attributs qui ont sans doute pesé dans son succès. De grandes entreprises l’utilisent régulièrement pour économiser sur des transferts de fonds. Après le lancement réussi de sa fusée, Tesla s’en procure pour une valeur de 1,5 milliard de dollars et proposera même à ses clients de payer en Bitcoin. Ce qui pousse d’autres investisseurs à emboiter le pas. C’est le début de l’envolée des cours.
PEUT-ON DEVENIR RICHE GRÂCE AUX CRYPTOMONNAIES ?
C’est ce qu’assure Joseph Mabiola. Cet expert en cryptomonnaie regrette que les Congolais aient préféré investir des dollars dans Mygold Rev; une énième société d’investissement dont les épargnants connaitront les mêmes déconvenues que ceux de l’époque Bindo-Nguma-Madova.
Pour lui, ceux prétendant être de Mygold Rev auraient dû dire la vérité à leurs clients, car cette entreprise n’a jamais ouvert de bureaux en RDC. Serge Kassanda, celui se présentant comme étant DG de cette société en RDC n’étant qu’un sous-traitant jouant l’intermédiaire. Il reçoit des dollars de ses clients et les convertit en Bitcoin pour faire des opérations d’achat et de revente de matière première ou de change de devises à l’international. Il récupère ses intérêts et reverse une partie à ses clients congolais.
A-t-il misé sur un mauvais investissement à l’extérieur pour se voir en difficulté ou d’autres contraintes ont-elles joué pour aboutir à sa fermeture par la justice congolaise ?
Difficile de le savoir. Ce qui est sûr; ce que de 1990 à 2021; les Zaïrois devenus Congolais aiment l’argent facile et sont peu préparés à devenir de vrais investisseurs.